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C’est sous l’initiative de David Ramolet (membre de LireClavel), et avec Matthieu Lorin, Professeur de Lettres au Collège Hélène-Boucher de Chartres, qu’un concours d’écriture d’une nouvelle basée sur le roman La Maison des autres de Bernard Clavel est lancé.
Nous revenons sur cet événement avec le témoignage des différents participants.
Depuis dix ans, j’interviens en tant que romancier dans les collèges et lycées d’Eure et Loir avec, pour unique but, de faire partager ma passion pour l’écriture et de découvrir l’enthousiasme des jeunes adolescents face à leur travail. Cette année, pour le concours de nouvelles des élèves de troisième du collège Hélène Boucher de Chartres, j’ai proposé à Matthieu Lorin, le professeur de lettres et organisateur de ce projet, un hommage à Bernard Clavel.
Étant un inconditionnel de la Maison des Autres, je suis parti d’un extrait et j’ai été surpris de voir de quelle manière les jeunes collégiens faisaient évoluer Julien Dubois, le personnage du roman. Sans rien savoir de l’histoire (aucun n’avait jusqu’à présent lu du Clavel), ils se sont tous pris au jeu et ont offert au jeune héros des aventures inédites, tendres et souvent pertinentes.
Je me souviens d’une anecdote qui m’a particulièrement touché. Au moment du passionnant travail de réécriture, une jeune autrice m’a confié : « C’est normal d’avoir envie de pleurer quand on trouve les mots exacts qui traduisent notre pensée ? » Une autre m’a dit qu’elle aurait aimé que Bernard Clavel soit encore là pour leur dire ce qu’il pensait de leur récit. Cette réflexion m’a donné envie de proposer à Josette Pratte d’être présidente d’honneur du jury, invitation qu’elle a aussitôt acceptée.
Professeurs, membres du jury et, bien sûr, collégiens ont été séduits par Josette Pratte qui, en toute délicatesse, a divinement tenu son rôle de présidente. Pour le plus grand plaisir de son auditoire, elle a longuement parlé de Bernard Clavel.
A une collégienne qui semblait triste que Clavel soit décédé, j’ai répondu : « On ne meurt vraiment que lorsque l’on cesse de parler de vous ! » Il semble évident qu’Chartres comme ailleurs, Bernard Clavel est immortel.
Par David Ramolet,
Romancier et Intervenant au Collège Hélène Boucher à Chartres
Cette année, du 7 novembre 2022 au 10 janvier 2023, nous avons tenu à célébrer au collège Hélène Boucher le centenaire de la naissance de Bernard Clavel. Il nous semblait en effet important de faire connaître aux nouvelles générations l’œuvre d’un auteur majeur de la littérature française du XXe siècle. Sans le savoir, les élèves du collège ont donc travaillé sur un extrait de La maison des autres, premier tome de la série « La Grande Patience ».
Le sujet proposait aux élèves d’imaginer pourquoi Julien Dubois entrait dans la pâtisserie « Ernest Petiot ». Nous espérons qu’avec ce travail, eux auront franchi la porte qui les mènera à la découverte de Bernard Clavel.
Chaque classe de 3e a donc travaillé autour de l’extrait ci-joint, accompagnée en cela par David Ramolet et l’enseignant de Lettres de la classe. Trois étapes jalonnaient ce travail :
Au terme de ces heures d’intervention de la part de David, un recueil de cinq nouvelles a ainsi été composé (une nouvelle par classe de troisième) et soumis à un jury composé d’enseignants, d’un libraire, d’un réalisateur, d’une médiathécaire et de Madame Josette Pratte qui était la présidente d’honneur de ce jury.
Celui-ci a choisi – bien difficilement- la nouvelle remportant le prix du collège Hélène Boucher 2023. Ce sont cinq élèves de la classe de 3e 5 – Siena, Adèle, Olivia, Akila et Hala – qui ont eu la chance de se voir remettre le prix des mains de Madame Pratte ainsi qu’un bon d’achat dans une librairie. L’émotion était palpable !
Tous repartent heureux de cette immersion dans l’œuvre de Bernard Clavel et d’avoir pu construire un texte en compagnie de David qui les aura toujours poussés à se dépasser, le tout avec altruisme et bonne humeur.
Par Matthieu Lorin,
Professeur de Lettres au Collège Hélène Boucher à Chartres
Dans un premier temps, on a partagé nos idées pour savoir lesquelles étaient les meilleures. On s’est aperçu que nos idées allaient plus ou moins dans le même sens et c’est ce qui nous a conduit à écrire cette nouvelle.
Quand on a retravaillé notre texte avec David, on se mettait dans la peau de Bernard Clavel. On en est venu à regretter qu’il ne soit pas là pour nous lire et nous dire ce qu’il en pensait. C’est comme cela que David a eu l’idée de demander à Josette Pratte si elle voulait bien venir rencontrer les élèves du collège Hélène Boucher. Nous étions vraiment contentes !
On a eu deux grandes difficultés : la première a été le manque de temps, notamment sur la première partie du concours (écriture de la nouvelle). Nous avions toujours l’impression d’être en retard. La deuxième a été de trouver une fin à notre nouvelle qui soit cohérente et qui donne satisfaction à tout le monde.
Déjà un bon de 25 euros à dépenser à la librairie de Chartres (rires)! Non, on a pu faire deux belles rencontres : celle de David avec qui cela a été une joie de réécrire et d’améliorer notre texte. Il nous a permis de démultiplier notre créativité et de pouvoir donner du sens à notre imagination. La deuxième belle rencontre fut celle avec Josette Pratte lors de la remise du prix.
Nous pensons aussi avoir enrichi notre vocabulaire et découvert une nouvelle façon d’écrire, et de lire.
Propos rapportés par Matthieu Lorin
« Arrivé devant le magasin, Julien cala sa bicyclette contre la bordure du trottoir. Sur la vitre, au-dessus du bec de cane, le nom du propriétaire : « Ernest Petiot » était peint en longues lettres inclinées, beiges et rouges, comme une grande signature trop soignée. En-dessous, en caractères plus discrets : « Pâtissier-Confiseur. Téléphone 128. » Les boiseries de la devanture étaient également beiges avec des filets rouges. Il n’y avait personne dans le magasin. Toute la vitrine de gauche, au fond tendu de velours vert, était occupée par des boîtes de bonbons et de chocolats. Au centre, imprimé sur bristol : « Roseaux du Doubs, spécialité de la maison. » Dans la vitrine de droite, beaucoup plus large et ouverte sur le magasin, il y avait seulement un grand plateau de croissants et un autre de petites brioches rondes et dorées.
Julien hésita un instant et regarda la rue en direction de la place Grévy. Une femme à tablier blanc et jupe sombre lavait le trottoir à grande eau devant un café. Plus loin, deux hommes parlaient. Dans la direction opposée, la rue semblait s’enfoncer en terre vers le centre de la ville, et se perdre entre les maisons les plus rapprochées. Plusieurs fenêtres étaient encore éclairées. De la boulangerie voisine, un garçon sortit, portant une hotte pleine de grands pains. Il se tenait un peu courbé en avant, les bras ballants. Julien le suivit des yeux en murmurant :
Quand il arrivera au bout de la rue, j’entrerai.
Vous devez rédiger une nouvelle dans laquelle vous insérerez ce passage. Vous placerez ce passage où vous le souhaitez : au début, dans le cœur de votre texte, ou en guise de fin.
Bien évidemment, il faut que votre texte soit cohérent avec le passage imposé.
Concernant la présentation de votre nouvelle, elle sera rédigée informatiquement et correspondra à la mise en page suivante :
Police : verdana, taille 12
Interligne 1,5
Marges étroites
Bon courage à tous !
Par Matthieu Lorin
Arrivé devant le magasin, Julien cala sa bicyclette contre la bordure du trottoir. Sur la vitre, au-dessus du bec de cane, le nom du propriétaire : “Ernest Petiot” était peint en longues lettres inclinées, beiges et rouges, comme une grande signature trop soignée. En-dessous, en caractères plus discrets : “Pâtissier-Confiseur. Téléphone 128.” Les boiseries de la devanture étaient également beiges avec des filets rouges. Il n’y avait personne dans le magasin. Toute la vitrine de gauche, au fond tendu de velours vert, était occupée par des boîtes de bonbons et de chocolats. Au centre, imprimé sur bristol : “Roseaux du Doubs, spécialité de la maison.” Dans la vitrine de droite, beaucoup plus large et ouverte sur le magasin, il y avait seulement un grand plateau de croissants et un autre de petites brioches rondes et dorées.
Julien hésita un instant et regarda la rue en direction de la place Grévy. Une femme à tablier blanc et jupe sombre lavait le trottoir à grande eau devant un café. Plus loin, deux hommes parlaient. Dans la direction opposée, la rue semblait s’enfoncer en terre vers le centre de la ville, et se perdre entre les maisons les plus rapprochées. Plusieurs fenêtres étaient encore éclairées. De la boulangerie voisine, un garçon sortit, portant une hotte pleine de grands pains. Il se tenait un peu courbé en avant, les bras ballants. Julien le suivit des yeux en murmurant :
– Quand il arrivera au bout de la rue, j’entrerai.”
Cela faisait des années que Julien n’était pas revenu à Dole. Il avait muri, peut-être même un peu vieilli, loin du Jura. Cela faisait également longtemps qu’il ne s’était pas retrouvé devant cette pâtisserie. Quand le garçon fut arrivé au bout de la rue, Julien prit son courage à deux mains et entra. Le parfum particulier du lieu lui donna l’eau à la bouche.
« – Que désirez-vous ? demanda la pâtissière. »
Julien n’hésita pas un instant :
« – Une brioche, s’il vous plaît. »
Comme la femme choisissait la plus dorée, Julien précisa :
« – Bien cuite.
– Comme celle-ci ?
– Vous n’auriez pas encore plus cuit ? »
Soudain sur la défensive, la pâtissière perdit son sourire commercial.
« – Monsieur ! à la pâtisserie Petiot, nous ne proposons que ’’du cuit à souhait’’.
– Et bien, je souhaite la plus cuite. »
Ronchonnant, la patronne partit dans l’arrière-boutique et revint avec un plateau rempli de petites brioches plus brûlées que bien cuites.
« -Voilà ! l’ouvrier les a sorties trop tard du four. Nous allions les jeter …
-Elles sont parfaites ! Je vais en prendre une. »
Sidérée, la femme s’écria :
« – Après tout, le client est roi. Vous savez quoi ? Je vous l’offre à une seule condition : ne dites pas qu’elle vient de la pâtisserie Petiot.
– Merci Madame Petiot, dit Julien en sortant. »
Puis, reprenant sa bicyclette, Julien avança jusqu’à la place Grévy où se trouvait le cours Saint-Mauris. Il vit un banc et s’y installa, puis sortit la brioche de son sac et ouvrit son couteau suisse de famille. Il appréhendait la première bouchée, cette bouchée qui pouvait autant le réjouir que le bouleverser. Julien croqua la brioche et, sentant ses yeux se cristalliser, il les ferma…
Soudain, un gamin lui arracha sa brioche des mains et s’enfuit d’un rire moqueur.
« Sale mioche, ma brioche ! » hurla Julien, en enfourchant sa bicyclette.
Il suivit le petit voleur qui s’enfonça aussitôt dans la rue de Besançon. Voyant qu’il allait vite se faire rattraper par le cycliste, le gosse prit l’étroite rue Grilleton. Il eut quand même le temps de se retourner et tira la langue à Julien.
« Tu vas voir… Mon pied aux fesses quand je t’aurai attrapé ! »
Mais, accélérant la cadence, Julien heurta un trottoir, rue Dusillet, et s’étala de tout son long. Il se releva, un peu sonné, et constata que sa roue était tordue. Il abandonna son vélo et poursuivit à pied. Déjà, le garçon empruntait la rue Pasteur. Avant d’entrer dans une maison, il nargua encore Julien en croquant à pleine dent dans sa brioche. Suite à ça, il disparut. Rapidement devant la porte et énervé au plus haut point, Julien tambourina jusqu’à s’abimer les poings. Personne n’ouvrit. Dépité, il s’avança vers l’unique fenêtre qui donnait sur la rue et colla son front à la vitre.
Le petit garçon entre dans la cuisine. Aussitôt, il s’assoit à table et attend que maman lui serve son petit déjeuner. Face à lui, un bol en faïence bleue un peu ébréché sur le dessus. A côté, un pot de confiture maison recouvert d’une petite toile vichy. Maman remplit le bol de chocolat crémeux. Elle porte son habituel tablier rose qui se marie si bien avec ses cheveux blonds et fait ressortir ses yeux clairs. Elle sourit tendrement à son fils qui boit une première gorgée avant de se lécher les lèvres. Le garçon a faim : « Ton père arrive, j’entends la porte d’entrée. » Un homme, vêtu d’une veste et d’une toque blanche entre à son tour dans la pièce. Malgré la fatigue qui s’affiche sur son visage, il garde un sourire bienveillant. Il pose sur la table un sac en papier que le garçon s’empresse d’ouvrir. Soudain, son visage se décompose. Il boude. « J’en ai marre ! ici, on ne mange que de la brioche trop cuite. »
Papa ne dit rien. Il est un peu déçu de la réaction de son fils. C’est maman qui parle : « Tu sais, mon p’tit Julien, si tu manges souvent de la brioche c’est parce que papa rapporte les invendus de son travail. Monsieur Petiot est déjà bien gentil de les lui laisser. Tu es un peu injuste. Avoue que c’est quand même bon. » Le petit garçon acquiesce…
Julien rouvrit les yeux. En ce début d’automne, quelques feuilles tombaient déjà des grands arbres du cours Saint-Mauris. Toujours assis sur son banc, Julien mordit une deuxième fois dans sa brioche trop cuite.
Il le savait : jamais il n’avait rien mangé d’aussi bon.
par Siena, Adèle, Olivia, Akila et Hala
Article paru dans L’Écho Républicain : Bernard Clavel au cœur du concours